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Portrait de prof #1 : Frédéric Bonometti

Bienvenue dans ce tout nouveau portrait de prof #1 ! Commençons cette série avec Frédéric Bonometti, responsable des formations d’animations, intervenant sous Softimage et Maya et expert des matières d’ animation, setup, rigging.

frédéric bonometti
Son poste de travail et mes 3 souris (2004 – Action synthèse – sur le film Pollux)

#1 – Bonjour Frédéric ! Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire davantage sur votre parcours avant E-tribArt ?

Bonjour !
Mon parcours commence de manière assez atypique en 1994 en répondant à une petite annonce dans le journal local qui cherchait des animateurs. (chose impensable aujourd’hui…) Après une première réponse négative, on m’a contacté et on m’a donné ma chance à savoir 2 mois pour me former, seul, sur une machine quand elle n’était pas utilisée en production (le soir et le week-end) avec pour seule aide le manuel du logiciel (à l’époque les machines et les logiciels étaient très chers. Il n’était pas rare de travailler à 2 par machine en tournée). En fait, j’ai surtout appris à utiliser le logiciel. Ils m’ont donné 2 mois mais j’ai convaincu au bout d’un seul et suis devenu animateur sur la série Insektors en sous-traitance pour le studio Fantôme. Très vite, je suis devenu responsable de l’animation sur de petits projets. C’était un petit studio luxembourgeois (Luxanima du groupe Neurones) qui a ensuite beaucoup grandi en développant un département 2D, beaucoup plus rentable. J’ai migré un peu après dans la maison mère à Liège en Belgique et y suis parti après quelques belles années d’expérience car j’étais jeune et je voulais voir d’autres horizons.

En 2000, j’ai eu la chance d’être recruté par un nouveau studio et c’est comme ça que j’ai débarqué à Marseille au studio Action Synthèse alors qu’il n’avait même pas encore de local. Là, une équipe s’est construite, un vrai challenge. La production initiale ayant avorté, on a eu la chance de voir se concrétiser un projet plus ambitieux: le film « Le Manège Enchanté », l’adaptation de la très célèbre série TV. Nous avons d’abord dû convaincre les financiers, puis est venue l’heure de produire. On m’a confié la direction de l’animation ainsi que sa supervision technique (rigging). J’y ai passé pratiquement tous mes week-ends au moment du pic de production mais l’aventure en valait la peine. Ces 2 responsabilités étant trop pour un seul homme, après le film j’ai eu la chance de pouvoir choisir et j’ai poursuivi dans la partie technique de l’animation que je trouvais beaucoup plus intéressante car à l’époque il y avait beaucoup de choses encore à créer, à inventer et à développer. S’en est suivi 3 saisons de séries TV et de nombreux teasers, toujours du côté technique mais toujours avec un nez dans l’animation. Malheureusement au bout de 14 ans, le studio a fermé. J’ai rejoint alors le studio de La Fabrique d’Image au Luxembourg où j’oeuvre à présent au développement d’outils pipeline, une spécialité que j’avais commencée dès mes débuts à Action Synthèse en parallèle de l’animation et que j’affectionne particulièrement.

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Mon équipe technique sur le film Pollux (rigging et pipeline) – Action Synthèse 2004

#2 – Quand avez-vous réalisé que vous souhaitiez faire de l’animation ?

Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours aimé raconter des histoires ou partager des émotions à un public (théâtre de marionnettes en famille, spectacles d’enfants, théâtre). J’avais déjà le soucis de certains détails que je ne retrouvais pas chez mes camarades. Le dessin animé m’a toujours fasciné mais c’est à l’été 1986, à 15 ans, que j’ai eu ma révélation personnelle en regardant dans le viseur de la caméra super 8 de mon père. J’ai sû à ce moment là que je voulais raconter des histoires via des images en mouvement. Le dessin animé était ma préférence mais très vite délaissée car ma famille, très terre-à-terre, m’a convaincu que faire des dessins animés n’était pas un vrai métier et puis je ne savais pas suffisamment bien dessiner (la 3D n’existait alors que de manière très marginale)… J’ai donc poursuivi des études plus “terre-à-terre” (en mécanique générale) mais sans oublier cette passion de l’image en mouvement qui me prenait beaucoup de mon temps libre. Je me suis intéressé au cinéma et à la vidéo (plus abordable) mais officiellement comme loisir. Je rêvais comme beaucoup de devenir réalisateur mais je n’avais pas assez de prétention pour le devenir. J’ai bien tenté les plus grandes écoles (FEMIS, Louis Lumière…) mais sans succès.

Je me contentais de réaliser de petits films institutionnels pour des associations sur mes temps libres, mais surtout je voulais tout comprendre: pourquoi j’aimais ce film et pas l’autre, pourquoi les séries américaines étaient meilleures que les séries françaises (selon mon goût de l’époque bien sûr), pourquoi les animations européennes (toujours à l’époque) étaient moins bonnes que celles de chez Disney… Mais les documentations étaient rares (internet n’existait pas encore) alors j’analysais tout en détail, technologies, écritures, visuels… J’établissais mes propres théories. Je décortiquais les dessins animés image par image sur des magnétoscopes VHS pour en comprendre les techniques et je les assimilais sans forcément connaître leur nom. Tout au long de ces années, j’ai développé une culture personnelle importante et c’est ce qui m’a permis de décrocher mon premier travail d’animateur : je n’ai pas convaincu en débarquant tout d’un coup et en claquant des doigts mais j’avais ce passé d’autodidacte. Et finalement, j’étais très bien préparé même si je n’avais pas encore d’expérience.
Dans le fond, même si je voulais en faire mon métier sans trop savoir comment, on peut dire que je suis tombé dedans un peu par hasard…

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Moi et les vrais marionnettes du Manège Enchanté lors du travail préparatoire du film Pollux – Action Synthèse – 2002

#3 – Vous avez toujours travaillé dans l’animation, depuis Luxanima en passant par Pixel Factory ou le studio Action Synthese. Dites-nous en plus sur cette dernière expérience, qui a l’air très riche !

Action Synthèse, c’est 14 ans de ma vie professionnelle où j’avais la chance d’être un des piliers du studio. C’était une période de transition où la 3D n’était pas encore tout à fait au point dans tous les domaines. Il y avait encore beaucoup de choses à développer et à régler. C’était vraiment passionnant de ce point de vue. On est parti de rien et on a créé un film, 130 épisodes de séries et quelques teasers. C’était une expérience riche dans laquelle j’ai eu la chance d’être relativement libre d’appliquer mes idées, notamment en matière de pipeline. Un luxe mais aussi une grosse responsabilité.

D’un point de vue humain, j’ai dirigé l’équipe des riggers sans trop de problème car c’était une bonne équipe et assez restreinte mais aussi l’équipe des animateurs sur le film. Et là c’est un autre défi car ils étaient environ 16, de tous niveaux et de tous pays. Chacun a suivi sa route ensuite à sa façon (on en retrouve aujourd’hui un peu partout dans le monde: chez Dreamworks, Macguff, en angleterre, etc. Il y en a même un qui a reçu un Oscar !), et j’en suis très fier mais pas dans le sens où j’ai été leur superviseur mais plutôt dans le sens de les avoir rencontrés un jour. Je ne suis pas sûr de leur avoir apporté quelque chose mais eux, oui.

En parallèle à l’animation j’ai développé beaucoup de techniques et d’outils. J’ai testé beaucoup de prototypes de rigs et de pipelines autour de l’animation, du layout et du rigging. Beaucoup ont été utilisés en production, d’autres non. Certaines idées étaient très bonnes et d’autres inadaptées. Certaines se sont développées en parallèle dans les autres studios un peu comme une évidence et pour d’autres, j’étais considéré un peu comme un ovni, étant le seul à les utiliser et à les défendre. C’était vraiment une période très créative pour moi qui m’a permise de toucher à la fois le côté artistique et le côté technique de l’animation.

#4 – Quelle est la production sur laquelle vous avez travaillé (film, dessin animé, clip, pub…) dont vous êtes le plus fier ?

Je devrais dire le film Le Manège Enchanté car mon nom est écrit en gros dans le générique de fin mais non, mon coup de cœur va plutôt à la série Insektors qui a été ma toute première expérience professionnelle. C’était la première série 3D qui ressemblait à une série telle qu’on les connaît aujourd’hui, avec des personnages, un univers, des intrigues et je la trouvais vraiment amusante et très chouette. Il y avait eu quelques séries avant et notamment les Fables Géométriques mais avec Insektors, on oubliait le côté technique de la 3D. On avait des vrais personnages avec un très bon design et une grande personnalité, des décors de cinéma, des ambiances travaillées et bien sûr de l’animation digne de ce nom. C’était alors du jamais vu.

L’un de mes meilleurs souvenirs d’animateur a d’ailleurs été sur un plan de cette série où je devais animer Kretinus, un personnage bête et drôle faisant partie des méchants. Je rêvais de l’animer mais je n’en avais pas eu encore l’occasion. Et ce matin là quand je l’ai téléchargé pour la première fois, j’ai d’abord été déçu. Il était là, sur l’écran, inerte, le regard vide. En le voyant, je me suis dis qu’il n’était finalement rien, rien qu’une marionnette virtuelle sans vie, sans âme. Mais 3 heures plus tard, je lançais le calcul de la vidéo de prévisualisation (il était impossible à l’époque de jouer l’animation à plus de 2 images/sec dans le logiciel et encore c’était en fil de fer) et je découvrais un personnage vivant, bête et rigolo en train de se moquer du grand méchant qui s’était ridiculisé. Il n’était rien et 3 heures après, il était vivant, drôle, sympathique. Je crois être resté au moins 15 minutes à regarder la vidéo en boucle tellement j’étais amusé et impressionné par ce que je voyais. Il y avait encore des corrections à faire bien sûr mais l’âme y était déjà. C’est sans doute cela la magie de l’animation : beaucoup de travail et de sueur pour quelques petites secondes mais au bout une émotion à partager.

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Le vrai Pollux en train de donner un coup de main !

#5 – Est-ce que l’animation est un métier exigeant en terme de pipeline et pourquoi ?

Il faut d’abord voir une production comme la fabrication d’un produit qui sera vendu. Cela doit être rentable sinon le studio ne pourra pas fonctionner et devra fermer. Il ne faut donc pas voir la fabrication d’un film comme la création libre et inspirée d’une oeuvre financée par un mécène philanthrope. Il y a une justification économique sans laquelle on ne peut pérenniser cette activité.

C’est pourquoi l’animation (comme tous les autres départements) dépend d’un budget précis et limité. Respecter ce budget, c’est respecter le délai car le coût est essentiellement dû aux salaires des employés. On impose donc des quotas où chaque animateur est tenu de livrer un certain nombre de secondes d’animation par jour. C’est une moyenne bien sûr mais il suffit d’un jour de déprime pour qu’un animateur ne produise pas correctement et fasse chuter sa moyenne de manière conséquente et c’est très difficile à rattrapper. C’est donc un travail exigeant au quotidien où on n’a pas trop le temps de se reposer sur ses lauriers. Il faut produire vite et bien et pas toujours dans des conditions techniquement idéales: les rigs peuvent être lourds ou mal préparés, le réalisateur peut être trop exigeant par rapport aux délais, le logiciel utilisé trop instables, l’échange d’informations inefficace, etc.
Il faut bien considérer l’animation comme un véritable travail. On peut l’aimer car il peut se montrer passionnant mais ce n’est pas un amusement. On ne fait pas ce qu’on veut. On est juste un maillon dans la chaîne de production.

#6 – Vous avez été superviseur sur le film “Pollux : le manège enchanté”. Comment était-ce de diriger une équipe d’animateurs ?

Diriger des animateurs n’est pas de l’animation. On anime bien sûr (si on a le temps) mais c’est surtout de l’encadrement. L’objectif commun est de produire chaque semaine un certain nombre de secondes. Nous sommes dans le même bateau que les animateurs sauf que nous sommes le responsable. Donc il faut savoir les guider dans la bonne direction, jongler avec la personnalité et les humeurs de chacun mais aussi les protéger le plus possible des pressions qui viennent de plus haut. On leur met juste la bonne dose.

Mais la chose la plus importante selon moi est de leur faire confiance. C’est eux qui produisent, c’est eux qui expriment leur talent. Si c’est réussi, c’est grâce à eux. Sans l’équipe, il n’y a pas d’animation, il n’y a pas d’objectif réussi. La confiance est donc plus qu’importante, elle est essentielle mais ça peut être une difficulté pour certains égos. On a aussi un rôle de soutien et de guide pour aider ceux qui ont besoin d’aide ou simplement pour donner une direction de travail, tant technique qu’artistique.

Sur Pollux, il y avait 3 ou 4 équipes d’animateurs. Je distribuais les plans en fonction de la compétence de chacun. Par exemple, il y en avait qui était plus à l’aise avec les scènes d’action et d’autres plus avec des scènes de dialogue. Il y avait de très bons animateurs à qui j’essayais de donner les plans les plus emblématiques pour qu’ils puissent les mettre en valeur. Il y a ceux qui allaient très vite sur qui on pouvait compter pour les quotas. Bref l’équipe était riche et il fallait l’exploiter au mieux.

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Un extrait de storyboard du film avec les images définitives à côté.

Il y avait bien sûr un travail d’échange important sur la manière de voir les choses, sur la manière d’animer qui se faisait en collaboration avec le réalisateur et le monteur. J’intervenais dans les validations en essayant de tirer toujours vers le haut mais plus que la qualité, c’était l’homogénéité qui était importante. J’étais le seul à avoir une vision globale de l’animation, tout comme le réalisateur est le seul à avoir une vision global de l’oeuvre dans tous ses aspects. C’était donc à moi de gérer cela. Il est arrivé une fois, par exemple, où un animateur avait sorti un plan du méchant avec un lipsing (animation des lèvres) vraiment super bien travaillé. Mais ça ne collait pas avec le style des autres plans et j’ai dû lui demander de baisser le niveau de qualité. Ça l’a surpris et j’en étais désolé pour son magnifique travail mais c’était dans l’intérêt de la séquence.

Les consignes et surtout les corrections qu’on donne aux animateurs ne sont pas toujours faciles à donner. Je me souviens d’un plan très difficile qui mettait en scène beaucoup de personnages, tous en interaction avec une structure animée très complexe. L’animateur avait passé 4 ou 5 jours dessus, ce qui était long pour un plan aussi court mais c’était normal vu sa difficulté. Et j’ai dû lui annoncer… qu’il devait recommencer, non pas que c’était raté (c’est un très bon animateur), mais ça ne fonctionnait pas avec le reste. Je ne vous raconte pas ce qu’un animateur doit parfois encaisser quand on lui demande ce genre de chose…

Et derrière tout ça, il y avait bien sûr le planning et les fameux quotas. Chaque semaine, il fallait trouver le nombre de secondes d’animation nécessaires. Et si certaines semaines étaient très bonnes, pour d’autres en revanche, il fallait valider à contre-cœur des plans qui auraient mérité d’être améliorés. Une fois, il manquait 4 ou 5 secondes. J’ai couru sur mon poste, j’ai animé en 5 minutes les aiguilles d’un cadran qu’on voyait en gros plan. Et hop, on avait atteint le quota ! Mais ça n’était pas toujours aussi facile. Mais grâce à ce suivi régulier et strict, nous avons fini avec une ½ journée d’avance. Ce qui n’est pas si mal sur une durée de production de 10 mois !

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Copie d’une de ses pages de storyboard sur la série insektors avec des anotations en vue sans doute de corrections. Luxanima, Rodange – 1994/1995

#7 – Dites-nous en plus sur les outils, logiciels que vous utilisez, quelles sont vos préférences au niveau des plugins, quelles sont vos méthodes ?

En matière d’animation et de rigging, je reste très attaché au logiciel Softimage/XSI même s’il est officiellement mort aujourd’hui. Si on le compare à Maya ou à 3DSMax, il était beaucoup plus ergonomique et mieux adapté pour produire vite et bien. D’ailleurs, historiquement, il a été le premier logiciel (en 1986) à adapter la technologie aux infographistes et non l’inverse comme c’était le cas des autres logiciels de cette époque.

Aujourd’hui, de nouvelles générations de logiciels sont très prometteuses comme par exemple le logiciel Clarisse (pour le rendu) qui a été conçu sur une base novatrice basée sur l’expérience directe des infographistes (les développeurs ont été eux-même des infographistes expérimentés avant de se lancer dans le développement, ils savent donc mieux que quiconque les défauts des logiciels existants. Ils ont d’ailleurs participé au rendu du film Pollux. Le monde est petit !)

Mais comme je dis toujours, faire une bonne animation ne dépend pas du logiciel mais de l’animateur. Les outils les plus simples sont les meilleurs. D’ailleurs je ne trouve pas dans les plugins ce que je recherche en animation ou très rarement. En réalité, d’un point de vue technologique, les animateurs dépendent bien plus des riggers que des logiciels. Un bon rigger sachant préparé de bon rigs avec de bonnes idées sera toujours mieux pour un animateur qu’un super logiciel mal exploité.

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Régie TV que j’ai conçue et montée d’où je réalisais des émissions interactive avec des personnages 3D temps réel – Neurone, Liège – 1998

Je prend pour exemple le défunt logiciel Softimage que je considère pourtant comme un très bon outil. On a pourtant vu des productions “pourries” sur ce logiciel parce que les rigs étaient très mauvais. A l’inverse, 3DSMax, que je réprouve pour avoir une mauvaise structure de base, a permis de produire de très bons films grâce à des personnes qui ont su très bien l’exploiter (avec des retours d’animateurs très positifs). Donc pour moi, la compétence du personnel et les conditions de production sont bien plus importantes que le logiciel lui-même.

Au niveau du rigging, ce que je regrette, c’est qu’une norme se soit établie avec le temps sur la base de la technologie de Maya et surtout de ses lacunes. Trop peu de riggers la remettent en question. On fait les choses parce que les autres le font ou parce que c’est comme ça sans forcément savoir pourquoi on le fait et c’est très regrettable. On se limite trop souvent au manuel du logiciel et pas assez à l’essence même de ses travaux.

Pour prendre un exemple concret : quand j’ai préparé la production de Pollux, j’ai cherché une méthode pour assigner les points des enveloppes déformables (skin) car il n’en existait pas. On y allait au jugé en utilisant les outils comme on pouvait et le résultat n’était pas toujours très précis. Je n’étais pas satisfait. C’est encore comme cela aujourd’hui pour beaucoup de riggers : on peint jusqu’à ce que le résultat soit acceptable. Mais en faisant abstraction des outils et en rejetant tous les préjugés, j’avais réussi à mettre au point une méthode. A l’époque, j’étais encore sur XSI et il manquait un outil pour rendre ma technique exploitable. Après une demande aux développeurs du logiciel, l’outil est finalement arrivé 3 versions plus tard et j’ai pu exploiter cette technique avec succès (plus de qualité et plus de rapidité). Personnellement elle a révolutionné ma façon de faire. Je l’ai partagée mais elle ne s’est pas propagée ou très peu car elle bouleversait sans doute trop les méthodes conventionnelles. Pourtant Maya possède aujourd’hui tous les outils nécessaires pour l’appliquer mais elle reste généralement non utilisée.

Pourtant 15 ans après, je viens de la découvrir dans une version un peu plus “allégée” dans le tutoriel d’une riggueuse d’un grand studio américain. Il est certain qu’elle ne vient pas de moi mais j’en suis ravi car il y a des gens qui se pose les bonnes questions et qui font avancer les choses. Les infographistes sont bien trop souvent des utilisateurs de logiciels avant d’être des techniciens ou des artistes et c’est le conseil que j’aime donner aux étudiants : leur approche de la profession doit être moins formatée “logiciel” et plus réfléchie sur le fond.

Mon équipe des animateurs sur le film Pollux (et le réalisateur Jean Duval 2ème assis à partir de la gauche) – Action Synthèse 2004

#8 – Qu’est-ce qui vous inspire lorsque vous réalisez des animations ?

Le public et la vie de tous les jours.
Je n’aime pas me référencer sur des films existants, même si je les adore et si j’en apprécie énormément leur qualité. Je m’en sers bien sûr pour apprendre, pour faire évoluer mes compétences mais pas directement pour réaliser mes animations.  Ce qui m’importe, c’est que l’histoire que j’interprète aux travers des personnages que j’anime soit perçue de la meilleure façon par les gens qui vont la voir. Je ne cherche pas à faire pareil ou à copier. Je veux seulement interpréter les choses pour raconter mon histoire et pour cela je m’inspire du réel. L’interprétation d’une interprétation sera toujours moins bonne.
Le public est donc celui qui me fait avancer. Si je recherche la qualité, c’est pour lui.

#9 – On parle souvent de la productivité à 100 à l’heure des studios et des délais intenables. Avez-vous ressenti cela durant votre carrière ?

Comme je l’ai expliqué ci-dessus, c’est omniprésent dans une production mais ça ne veut pas dire qu’on est en permanence sous pression. Suivant les studios, suivant les productions, les quotas sont plus ou moins difficiles à tenir. Il y a bien sûr des personnes qui vont plus vite que d’autres et les responsables le savent. On ne va pas attendre d’un junior d’être aussi performant qu’un senior. Ce qui compte au final c’est le quota global de l’équipe.
Mais je dois dire que j’ai toujours été bien servi en matière de quota. J’ai connu des quotas que je considérai serrés mais toujours réalisables. Mais c’est sûr, ce n’est jamais une ballade tranquille au bord de l’eau. De toute façon sur ce point on n’est jamais satisfait. On rêve toujours d’avoir les mêmes quotas que les grands studios américains (nous, on parle en sec/jour, eux, en sec/semaine).
On a rarement le temps d’apporter la qualité qu’on aimerait mais de temps en temps, on arrive à se faire plaisir sur un plan ou deux.
Souvent le début de production est plus cool que la fin. Forcément quand on est en retard, les délais finissent par nous rattrapper. Mais c’est vrai pour tous les studios. Chez Disney par exemple, les animations des dessins animés 2D étaient réalisées dans l’ordre du film et on peut nous même le constater : les débuts sont toujours de meilleure facture que les fins. Le temps manquent toujours à la fin… Il faut savoir s’adapter, mettre son orgueil de côté et rogner sur la qualité, tant pis. Le produit prime toujours sur l’oeuvre (sauf peut-être dans certains grands studios qui ont les moyens et encore ils ont aussi des dates butoirs. Si ce n’est pas à cause de leur budget, c’est à cause du calendrier d’exploitation)

frédéric bonometti
une capture d’écran d’une scène d’animation de Pollux

Toutefois, il ne faut pas nier que certaines périodes sont difficiles. Le tout est qu’elles ne soient pas la règle. J’ai déjà fait des nuits blanches quand j’étais jeune juste pour livrer un générique TV dans les temps. Mais sur des séries TV, la pression n’est pas aussi brève. Elle s’inscrit sur une plus longue durée.
Les quotas sont imposés par la concurrence qui propose toujours moins cher ou par l’exploitant qui possède une grille prédéterminée des recettes potentielles. Aujourd’hui l’Inde et la Chine sont moins présentes qu’à une certaine période car certains financements obligent à produire en France ou en Europe (et c’est tant mieux pour nous).
Mais quelque soit la situation, il faut se rappeler qu’un animateur (ou tout autre infographiste) est avant tout un technicien qui doit produire pour justifier économiquement son salaire. Je sais que c’est une formulation que beaucoup d’animateurs réprouvent mais c’est une réalité.

#10 – Vous êtes enseignant-formateur à l’institut 3D e-tribArt : racontez-nous votre aventure à l’école depuis 2009 !

Je suis entré en contact avec Laurent Bertran de Balanda, le directeur, car j’étais désespéré de former moi-même les riggers à Action Synthèse. A l’époque, il n’existait pas de formation digne de ce nom. J’ai donc décidé de proposer une vraie formation de rigger à l’école E-Tribart. Le directeur s’est vu intéressé mais m’a également proposé la formation Animation. Au début, je n’étais pas très chaud car des écoles d’animation, il en existait déjà beaucoup mais à ma connaissance, pas dans le formation du cours en ligne. J’ai accepté pensant que c’était une idée intéressante qui pouvait ouvrir les portes à des talents qui ne pouvaient pas faire autrement.

La formation à l’animation se poursuit depuis avec régularité. Pour la petite anecdote, je me souviens de mon premier cours. Il y avait une dizaine d’étudiants. Aucun n’avait branché ni son micro, ni sa webcam et je n’ai pas osé le leur demander cette première fois. Ils utilisaient seulement le chat. Mais depuis, c’est toujours un plaisir de les retrouver même si c’est d’une manière virtuelle. Cela dit aujourd’hui, ils utilisent plus facilement le micro et c’est un plaisir de les entendre participer.

Donner des cours, m’apporte aussi beaucoup. Pour préparer les cours, je suis obligé de faire des recherches ou d’approfondir mes techniques. Sans cela, je ne l’aurai jamais fait et c’est donc pour moi une autre façon d’évoluer.

#11 – Quelle est votre partie préférée de votre travail d’enseignant et pourquoi ?

Ce sont très certainement les cours en direct car même si on est chacun chez soi, ce sont toujours des rencontres et c’est à ce moment là qu’on échange et que je peux me rendre compte de la progression des élèves. En direct, on peut jouer sur la souplesse et s’adapter. Des fois, je peux être déçu et alors je remets en question ma pédagogie et reviens sur des points précis non acquis et d’autres fois, je suis épaté par ce que les élèves me présentent et on essaie d’aller ensemble encore plus loin. Les cours se suivent mais ne se ressemblent pas.

La préparation des cours peut aussi être très intéressante. C’est plus long que des cours classiques car il y a notamment une mise en image mais on prend le temps d’explorer aussi bien sur le contenu que sur la manière de le présenter et c’est très enrichissant.

#12 – Quel est votre film favori en 3D ou en 2D et pourquoi ?

En 3D, je citerai le film Ratatouille. J’ai toujours pensé que c’était parce que c’était une histoire riche et très bien racontée mais en y réfléchissant, c’est peut-être aussi parce que c’est l’histoire de quelqu’un qui a un talent et une identité que son entourage ne comprend pas et qu’un jour, la chance lui sourit et il la saisit malgré des conditions qui ne jouent pas pour lui. C’est une histoire qui me parle très certainement comme sans doute à beaucoup d’entre nous.
En 2D : Lilo & Stitch. Quand il est sorti, c’était le “petit” Disney. Celui qu’on sortait à Pâques. On réservait le “grand futur classique” pour Noël qui fut d’ailleurs un flop (Atlantis). Alors que Lilo & Stitch, c’était l’anti Walt Disney (à l’époque car maintenant c’est un classique). On avait des décors à l’aquarelle, des personnages principaux non conformes, une situation sociale difficile et moderne, Elvis Presley… C’était très osé. D’habitude on voyait plutôt cette liberté dans le film d’animation européen. On est très loin de la Belle et la Bête ou du Roi Lion. Pourtant on a une superbe histoire, très bien racontée, beaucoup d’émotions, un design original et une animation superbe. Bref c’est un film que je suis allé voir sans y croire (la bande annonce n’était pas très représentative) et j’en suis sorti conquis. Comme quoi s’éloigner des “recettes” traditionnelles peut s’avérer gagnant quand on sait comprendre où est l’essentiel.

#13 – Quelle est la partie la plus difficile en tant qu’animateur dans un premier temps, et en tant que professeur dans un deuxième temps ?

En tant qu’animateur, le plus difficile est sans doute d’abord de trouver un premier travail, simplement parce qu’il nous manque l’expérience et que la concurrence est rude. Une fois dans la place, il faut ensuite tenir son quota dans la durée. Tous les jours il faut dépenser autant d’énergie que la veille et ça peut être usant à la longue. A mes début par exemple, je ne faisais plus rien de bien au bout de 2 mois. J’avais alors besoin d’un break d’une semaine pour me ressourcer, pour me remettre en question. Avec le temps, on gagne en expérience mais on dépense toujours autant d’énergie à produire qu’à ses débuts. En ce qui me concerne, j’ai toujours la même peur avant de commencer une nouvelle animation. C’est bête mais à ce moment là, même si j’ai déjà fait mes preuves, je doute toujours autant sur mes capacités à réussir mon plan. Mon plaisir ne vient que plus tard quand le travail est déjà bien dégrossi.

En tant que professeur, la difficulté est d’amener un apprenti dans la voie qui lui est adaptée. Il y a plein de manière d’aborder l’animation. Chaque animateur à la sienne. Ce n’est pas évident de guider quelqu’un qui se cherche encore ou qui n’a pas forcément encore saisit l’essence même de l’animation. Pour cela il faut structurer au mieux les techniques, essayer plusieurs approches différentes. Et force est de constater que l’animation reste difficile. C’est un véritable travail sur soi-même et tout le monde ne peut pas y arriver. Mais j’ai eu de très bonnes surprises auxquelles je ne m’attendais pas simplement parce que des apprentis ont fait preuve de courage et de ténacité. Et j’encourage les postulants à y croire et ne pas se laisser abattre aux premières difficultés.

#14 – Enfin, avez-vous des conseils pour inspirer un futur étudiant à e-tribArt ?

Animer c’est surtout une histoire avec soi-même. C’est comme le dessin : on interprète le réel pour raconter ou exprimer quelque chose. On peut le faire de manière superficielle avec un peu de technique mais ce n’est pas suffisant si on veut se faire une place dans la profession. La compétition est rude et les spectateurs de plus en plus exigeants. On se doit d’aller plus loin en recherchant ce qu’il y a derrière les choses. Comprendre est la clé d’une bonne interprétation et pour comprendre on ne peut compter que sur soi-même et surtout sur ce qu’il y a au plus profond de soi.

Il ne faut pas faire de l’animation parce qu’on aime regarder des dessins animés ou parce qu’on recherche un travail. Il faut le faire parce qu’on aime raconter des histoires, interpréter des personnages, exprimer des émotions et surtout parce qu’on a envie de le faire. La route peut être longue et difficile mais pour celui qui est travailleur/se, patient(e), motivé(e), la route reste possible.

E-tribArt remercie chaleureusement Frédéric Bonometti pour ce témoignage passionnant et très riche ! Vous pouvez retrouver son profil sur LinkedIn ou Vimeo.

Catégorie : ActusTémoignages

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